Si Bruxelles est le point d’ancrage de François Curlet, cet exilé volontaire ne cesse de circuler en France et à l’étranger pour mieux puiser dans le réel et mettre en place une oeuvre protéiforme à l’image des deux pièces présentées au Plateau.
Héritier de John Knight et de Jef Geys, François Curlet opère une fusion singulière entre art conceptuel, persistances dadaïstes, imagerie pop et rêverie situationniste. Avec une grande variété d’outils et de matériaux, l’œuvre de François Curlet emprunte au domaine du conte, de la télévision, des échanges économiques, de la communication (mondes médiatiques contemporains dont il concocte de savoureux dérèglements ). Ainsi, ces éléments (objets, signes ou messages) sont soumis à divers déplacements et transformations qui détournent ou invalident leurs fonctionnalités. François Curlet travaille à la loupe, comme pour dilater l’ordinaire jusqu’à matérialiser l’improbable. Maître de la distorsion des codes culturels, il en extrait le potentiel ludique, poétique, narratif, en répandant son humour caustique sur toutes les choses.
François Curlet produit des téléscopages visuels et culturels entre fiction et réalité, il « remixe » avec humour les objets et les images, qui constituent alors un véritable monde parallèle, « ovniesque » propre à l’artiste.
Au Plateau, François Curlet décide d’inviter deux autres artistes belges, Jos De Gruyter & Harald Thys, à partager avec lui l’espace d’exposition dans lequel il présente, pour sa part, deux nouvelles œuvres dont une production :
– Nouvellement entrée dans notre collection, Rocking Chair « avec son plaid maintenu en l’air sur le côté droit du dossier, une petite erreur gravitationnelle qui indique une présence fantôme » joue la carte de l’objet quotidien légèrement détourné pour en annuler sa fonctionnalité première.
– Réalisé au printemps, le film French Farce nous emmène dans un café venu directement du début du 20ème siècle à Château-Gontier le temps d’un improbable travelling sur un groupe de retraités réunis pour une partie de jeu de cartes sous le regard étonnée d’une jeune femme à l’accent so british. Commentaire de la scène : un petit monde « tellement Marcel Duchamp ».
Jos De Gruyter & Harald Thys
Depuis vingt ans, Jos De Gruyter & Harald Thys réalisent des vidéos-performances dont les scènes confrontent les personnages à des situations quotidiennes aux tonalités souvent extraordinaires. Empruntant autant au cinéma d’avant-garde qu’à Hollywood, leur travail vidéo ne se plie à aucune contrainte liée à la narration. Dans un premier temps, les personnages et leurs environnements immédiats semblent tout à fait normaux, puis progressivement les scènes basculent dans l’absurde, le dérapage devient inévitable. Manipulés par les deux artistes comme le seraient des marionnettes, les acteurs sont souvent réduits à des figurines masquées et déguisées : des hommes à têtes d’oiseaux ou à costumes d’ours habitent des scènes empreintes de visions déviantes.
Dans leurs travaux photographiques, on retrouve un univers similaire : des espaces gris uniformes servent de décors à des personnages dont « les accessoires semblent issus de vaudevilles champêtres. »
Toute leur œuvre repose sur des personnages marginaux et souvent pitoyables dont les faits et gestes révèlent des névroses présentes chez chacun d’entre nous : « les suffoquants effets secondaires de la normalité sur ces personnages les mènent à leurs propres limites et c’est précisément ici, à cette frontière entre deux mondes, qu’on peut trouver quelque chose de vital. »
Au Plateau, Jos De Gruyter & Harald Thys présentent des œuvres récentes parmi lesquelles Ten Weyngaert, un film de science fiction. Reprenant le nom et le cadre d’une architecture utopiste bruxelloise aujourd’hui occupée par des marginaux, l’action de cette vidéo se déroule dans un monde à l’apparence surréaliste, dirigé par une araignée mécanique où deux robots jouent le rôle d’intermédiaires entre une minuscule monarchie et une société hétéroclite aux nombreux dysfonctionnements. Ici, les personnages sont joués, comme souvent chez ces artistes, par des membres de leurs familles, des amis et des acteurs non professionnels.
Un ensemble d’autres pièces permet aux visiteurs de découvrir leur travail habité de personnages burlesques, caricaturaux et parfois tragiques saisis dans des situations plus ou moins extraordinaires, souvent empreintes d’absurde.