Le Plateau
Paris

Charles Avery – Onomatopoeia, part 1

Le Frac Ile-de-France/Le Plateau présente la première exposition personnelle en France de Charles Avery.

Cet artiste écossais, né en 1973, vivant et travaillant à Londres, a décidé en 2004 de se consacrer entièrement à un seul et unique projet : The Islanders.

Au travers de textes, dessins, sculptures et autres installations, The Islanders est la description d’un monde imaginaire et en particulier d’une île – sa géographie, sa faune, sa flore, ses habitants – qu’un explorateur est peu à peu amené à nous faire découvrir.

 

L’œuvre se traduit en premier lieu par une forme au réalisme achevé : en particulier les dessins, d’une rare virtuosité, qui fondent véritablement son travail, sont tout entiers conçus pour être au service d’une narration. En s’inscrivant tant dans la plus pure tradition du dessin classique perspectiviste, que dans celle du dessin de reportage et d’illustration du siècle dernier, ils s’imposent en ce sens par leur extrême précision.

 

Le monde qui nous est ainsi restitué, tout en étant à bien des égards comparable au notre, se distingue très vite par une profonde étrangeté : déjà, les êtres qui y vivent – en particulier les If’en qui en constituent les véritables autochtones – sont autant d’animaux et de personnages sortant pour le moins de l’ordinaire, mais surtout se révèle un univers régi par des lois d’ordre logique et philosophique remettant en cause notre propre système de pensée.

Les faits, gestes et évènements qui nous sont rapportés semblent continuellement répondre à des dialectiques fondées notamment sur l’équivalence et l’incertitude.

 

En réalité, le monde que nous décrit Charles Avery apparaît bien vite comme l’expression même d’un monde d’idées, comme la réalité première et tangible d’un ensemble de concepts et de principes, les différents protagonistes de The Islanders étant eux-mêmes à percevoir comme certaines de leurs véritables incarnations.

Comme le dit Nicolas Bourriaud dans le texte qu’il a consacré à cette œuvre, « Avery applique littéralement les préceptes de Platon en décidant de représenter le monde contemporain depuis l’intérieur de la caverne ».

 

Nombre des noms donnés aux éléments constitutifs de ce monde imaginaire indiquent clairement le lien établi en la matière, depuis le Noumenon, cet animal légendaire qu’aucun chasseur n’a réussi à capturer – pour une évocation directe de ce que Kant définit comme la cause de toute sensation –, jusqu’à l’Archipel de Wittgenstein qui baigne dans l’Océan Analytique en passant par l’Aleph, autre bête extraordinaire, ou bien Onomatopoeia la ville centrale de l’île…

Mais au-delà de l’attribution – non dénuée d’humour – de ces noms, au-delà de cette façon surprenante d’introduire certaines formes géométriques abstraites dans cette représentation au réalisme le plus cru, c’est toute une cosmogonie qui nous est proposée où en particulier les relations à l’espace et au temps se trouvent entièrement réévaluées et redéfinies.

 

Poser les choses de cette manière, lorsque l’on s’exprime dans un champ qui est celui de l’art, revient de toute évidence à établir un lien d’une autre nature : de fait, travailler une dimension immatérielle et un registre d’ordre conceptuel, s’attacher à ce qu’une idée puisse en elle même avoir une réalité concrète, dit bien le rapport qu’il convient de mesurer avec tout un pan de l’histoire récente de l’art.

Dans cette perspective, la démarche de Charles Avery elle-même ainsi que sa décision de se consacrer à un seul projet sa vie durant, le rapproche de nombre de ses prédécesseurs pour qui l’œuvre fut l’accomplissement rigoureux d’un système préétabli.

 

Ainsi, si l’œuvre de Charles Avery, dans sa veine littéraire, évoque de façon certaine celle d’un Faulkner ou d’un Borgès, c’est également du côté d’un Broodthaers, d’un Opalka ou même d’un Buren, dans ce rapport au réel et la façon de le signifier, qu’il convient d’aller chercher.

Pour le coup, Charles Avery, dans un retournement qui n’est pas la moindre de ses prouesses, parvient à conjuguer avec brio dimension baroque, représentation d’un réalisme extrême aux accents documentaires et position conceptuelle radicale.

 

Au-delà, cette fiction où un personnage s’emploie à porter à notre connaissance la réalité d’un autre monde – un autre monde qu’il est finalement loin d’être le premier à découvrir et que d’autres, bien avant lui, ont cherché à explorer – est bien évidemment une métaphore de l’art, de celui de Charles Avery et de sa propre quête.

Gageons que les spectateurs qui découvriront son travail lors de cette exposition au Plateau, loin de se comporter comme les touristes débarquant dans le port d’Onomatopoeia, s’attacheront à en percevoir toute la richesse, toute la subtilité et la prodigieuse inventivité.

 

Xavier Franceschi, directeur du Frac Ile-de-France / Le Plateau et commissaire de l’exposition

 

Diaporama

 

 

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